La négation de certains mots est très à la mode en ce 21e siècle. La région du Haut-Saguenay n’y échappe pas. Nous pouvons aussi nous targuer d’avoir le nôtre. C’est le mot en C. Le mot qu’il faut bannir de notre vocabulaire. Le mot qui nous ramène dans le passé alors que nous sommes rendus ailleurs avec la création d’une nouvelle ville issue de la fusion en 2002. Nous devons regarder devant nous et utiliser un mot inédit pour nous identifier à notre nouvelle humanité : Saguenay, ce mot qui n’a jamais été utilisé pour désigner aucune des municipalités fusionnées! Saguenay, ce mot qui sera rassembleur puisque tout le monde sera content de voir que personne n’a conservé le sien! Quel beau mot synonyme d’avenir prometteur! À bas le mot en C.  À bas ce mot qui désigne une municipalité et ses habitants, qui, depuis près de 350 ans, vole la vedette, qu’on qualifiait de « lieu remarquable » en 1661, de « ville d’un commerce considérable si l’intérieur des terres s’établit » en 1828, de « Reine du Nord » en 1913 et de « capitale régionale » en des temps plus récents. On le traque même jusque sur les patinoires. Nous parlons de Chicoutimi naturellement.  

Détail de la carte géographique de Louis Jolliet, 1679

Comment en sommes-nous rendus là, à nier l’évidence et à nous replier sur un nom, Saguenay, qui évoque un royaume utopique sorti de l’imagination d’un chef autochtone (Donnacona) qui dit à Jacques Cartier que « la rivière nommée la rivière du Saguenay va jusqu’au dit royaume du Saguenay, … et que, passées huit ou neuf journées, n’est plus profonde et navigable que par canot, mais que le droit et bon chemin du dit royaume du Saguenay est par le fleuve jusqu’à Hochelaga [Montréal], à une rivière [Outaouais] qui descend du dit royaume du Saguenay, …et que les gens sont vêtus et habillés comme nous, et de draps, et qu’il y a force villes et peuples, et bonnes gens et qu’ils ont grande quantité d’or et cuivre rouge ». Pauvre chef qui a entendu parler que des blancs sont arrivés plus au sud (Christophe Colomb et les conquistadors qui l’ont suivi) mais qui, pour lui, les associe à son univers qui ne dépasse pas les Grands lacs.

Paradoxalement, Donnacona est le premier à décrire le lieu («passées huit ou neuf journées, n’est plus profonde et navigable que par canot») que les innus ont désigné Chicoutimi et que le père Dablon a décrit comme « lieu remarquable pour être le terme de la belle navigation et le commencement des portages ».

Chicoutimi, ce nom honni qu’il ne faut plus prononcer, décrit pourtant une réalité géographique, soit un site stratégique qui sert de terminus pour atteindre l’intérieur des terres et la mer du Nord (baie d’Hudson), les seules voies de communication étant les cours d’eau navigables. Ce nom Chicoutimi a été le seul utilisé pour désigner pratiquement l’ensemble du territoire occupé actuellement par la ville issue des fusions.

Arrêtons ces enfantillages, soyons honnêtes et reconnaissons tous que la consultation de 2002 nous a amenés à une aberration historique, géographique et sociologique qui ne pourra être corrigée que par une remise en question du nom de cette ville. Allons, du courage, membres du conseil municipal, osez démontrer de la maturité politique dans ce dossier. 

Revenons sur l’article[1] publié par Mme Catherine Delisle[2], journaliste maintenant retraitée, qui nous rapporte les propos de M. Serge Bouchard en fin d’année 2011:

« Vous allez dire qu’en ce beau matin de Noël, je radote. Que le dossier est réglé depuis longtemps. Qu’on a tourné la page! Pire, que c’est un nid à chicanes. Eh bien! Tant pis! Et ne me lancez pas de tomates. Parce que ce n’est pas moi qui ai relancé le sujet du nom de la ville. C’est Serge Bouchard. Et, franchement, ça ne me déplaît pas.

Serge Bouchard est sans doute l’un de nos plus éminents anthropologues, un passionné d’histoire. Lorsque je l’entends à la radio, je sais que c’est lui, à cause de sa magnifique voix grave. Une voix chaleureuse. Une vraie belle voix radiophonique. Voilà que je fais digression.

Donc, je poursuis. C’est un chroniqueur, animateur, écrivain et grand observateur de l’évolution des populations. Il participe à des documentaires et à des émissions de télévision. Il collabore, entre autres activités, à la revue Québec Science. Voilà pour les présentations.

C’est d’ailleurs dans le magazine de décembre 2011 – janvier 2012 que Serge Bouchard s’est commis sur le « beau nom de Chicoutimi », comme il intitule son texte. Impossible pour moi de l’ignorer. Vous pensez bien qu’on s’est chargé de m’apporter la revue. Des lecteurs m’ont même expédié des courriels à cet effet. Comme quoi ce sujet est toujours d’actualité, qu’importe ce qu’on en dit, d’où l’idée d’en glisser un mot dans cette chronique.

Le cœur du problème

Serge Bouchard a mis le doigt sur le nœud du problème. Les trois noms de ville, Jonquière, Chicoutimi et La Baie, ont été rayés de la carte au profit d’un quatrième, Saguenay, « pour ne froisser personne ».

Il poursuit: « Du point de vue de Jonquière, il fallait que Chicoutimi souffre… » Wow! Se peut-il qu’un Montréalais ait vu juste? L’anthropologue met clairement en évidence l’esprit de clocher qui animait la population à l’époque de la fusion et ses effets dévastateurs. Selon lui, « l’histoire ne sert à rien dans les référendums politiques. On vote n’importe comment, contre des fantômes, des moulins à vent, pour des insignifiances, selon l’agenda du moment, sans songer une seconde à la gravité des choses…» Plus loin, il ajoute: « On ne pense pas à l’histoire, préférant la chicane de son clocher à la nature profonde du lieu. » Ce qu’il peut dire vrai!

Pour ménager les susceptibilités, on a donc abdiqué devant nos responsabilités. Déjà que la fusion était dure à avaler, il fallait à tout prix éviter de faire plus de vagues et de choquer les gens encore davantage. On a préféré la facilité. On a choisi d’éliminer le nom Chicoutimi, d’ignorer le passé et d’oublier ainsi un grand pan de notre histoire. C’était la pire des décisions.

Si, encore, Serge Bouchard était le seul à déclarer qu’on a dérapé!  On pourrait être conforté dans notre choix, aussi irrationnel soit-il. Mais, non! Ils sont nombreux à affirmer qu’on a bousillé un bel héritage. On aura beau dire que le dossier est clos. Il ne l’est pas. Un jour, l’erreur sera corrigée par des élus qui sauront nous rendre fiers de notre héritage ».

[1] Vous trouverez cet article dans mon livre «Le toponyme Chicoutimi, une histoire inachevée, Éditions Ichkotimi, 2016, page 274.

[2] Catherine Delisle, Le nom de la ville: il fallait que Chicoutimi souffre, Le Quotidien, 26 décembre 2011

4 réponses pour “Le mot en C”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *