Le développement économique peut prendre plusieurs formes. Il y a un domaine, cependant, dans lequel on n’a pas à subir les décisions des grosses entreprises internationales pour se développer régionalement. C’est la décentralisation des fonctionnaires provinciaux vers les régions. D’ailleurs, en 2018, le gouvernement Legault[1] avait promis de décentraliser 5 000 postes, ce qui apparaissait comme un bon début, quelque peu timide, mais tout de même intéressant. Qu’en est-il trois ans plus tard et comment se compare-t-on?
À la fin de mars 2021[2], le gouvernement nous apprend qu’il y a 55 666 employés de la fonction publique[3] qui sont répartis dans les régions administratives (tableau ci-contre, ligne verte, échelle de droite). Trois régions administratives se réservent la part du lion, soit la Capitale-Nationale (27 763 emplois), Montréal (10 948) et la Montérégie (3 079). Comme vous pouvez le constater, les quatorze autres régions ramassent les miettes. Mais soyons honnêtes : le nombre d’effectifs est-t-il proportionnel à la population que représente chaque région administrative?
Pour répondre à cette question, il faut calculer un ratio qui est le résultat du pourcentage des effectifs qu’une région représente, divisé par le pourcentage de sa population sur la population totale du Québec. Exemple : La Capitale-Nationale comprend 49,9 % des emplois dans la fonction publique et 8,8 % de la population du Québec. Le ratio est donc de 49,9/8,8, soit un ratio de 5,7. Les régions apparaissent par ordre d’importance de ce ratio (colonnes bleues) sur le tableau. La réponse saute aux yeux! On constate que 14 régions sont sous représentées et qu’il y a des écarts significatifs (0,2 à 5,7) par rapport à la moyenne qui est 1,0. Mais est-ce normal que la région qui est le centre d’un gouvernement s’accapare autant d’emplois?
Pour en avoir le cœur net, prenons le cas de la France, pays auquel nous ressemblons quant à l’importance de l’État dans notre vie de tous les jours. Naturellement la France est un pays alors que nous ne sommes qu’une province. Mais nous n’avons pas à tenir compte de l’écart énorme au niveau des effectifs puisque nous ne voulons que constater l’écart qui existe entre les différentes régions administratives de France. Le tableau ci-contre nous révèle que les ratios varient de 0,87 à 1,19, soit plus ou moins 10% par rapport à la moyenne. De prime abord, on aurait pu croire que Paris (Île-de-France), capitale politique et économique de ce pays, se démarque bien davantage des autres régions, mais il n’en est rien.
Ne croyez-vous pas qu’il vaudrait la peine qu’on réfléchisse sérieusement à améliorer cette situation? La Capitale-Nationale est pourvue d’un grand nombre d’entreprises prospères. A-t-elle encore besoin d’autant d’effectifs gouvernementaux pour assurer son avenir. Une chose qui est certaine c’est que les régions, elles, en ont besoin. Si on vise un ratio de 0,9, 400 à 500 emplois directs très bien rémunérés seraient créés au Saguenay-Lac-St-Jean, ce qui n’est pas négligeable quand on pense que le Québec accorde quelque cent millions de dollars pour créer 100 emplois dans le privé. La croissance des effectifs gouvernementaux va se poursuivre. Pourquoi ne pas investir ici plutôt qu’à Québec.
Voici deux cartes qui vous donnent une idée de la répartition géographique des effectifs du Québec et de la France dans la fonction publique. Chacun peut en tirer ses conclusions.
[1] Radio-Canada, Joane Bérubé, 21 novembre 2020, « Juste avant d’être portée au pouvoir à l’automne 2018, la Coalition avenir Québec promettait de décentraliser 5 000 postes du secteur public vers les régions ».
[2] L’effectif de la fonction publique du Québec 2020-2021, partie 1, Tableau 1.1.3 Nombre de personnes dans l’effectif régulier par région administrative de mars 2017 à mars 2021, page 4.
[3] En fin d’exercice financier 2021, l’effectif de la fonction publique était réparti, outre l’Assemblée nationale, entre 22 ministères et 64 organismes et il était présent dans l’ensemble des régions du Québec. Cela n’inclut pas les employés des organismes de santé, d’enseignement, la SAQ, la SQDC, Hydro-Québec etc.
Démonstration originale et crédible de la vieille idée concernant la décentralisation gouvernementale comme levier de développement régional. Beaucoup a été fait de 1968 à 1987. Cette dernière année, le Québec est passé de 10 à 17 régions administratives. Or les nouvelles régions institutionnalisées n’ont jamais obtenu les agences et les effectifs qu’ils auraient dû recevoir, faute de moyens gouvernementaux, certes, mais aussi faute de volontaires pour travailler en régions. En réalité, les fonctionnaires de Québec ne veulent pas être muté en régions, mutation qui représente pour eux un “purgatoire” afin de s’expertiser avant de revenir à Québec avec une promotion hiérarchique. Plusieurs ne l’obtiendront jamais. Ce qui rend la mutation répulsive.
La décroissance démographique, aussi lente soit-elle, ne joue pas en faveur d’un ajout d’effectifs gouvernementaux en régions. Plusieurs agences desservent de plus en plus deux régions et même davantage dans la grande région métropolitaine.
Si le débat sur la décentralisation gouvernementale demeure pertinent, il faut à mon avis prendre le problème sous d’autres perspectives, notamment celle de l’appropriation de responsabilités publiques par les autorités municipales ou autres.
Le contexte que vous décrivez est tout à fait exact. Mais la gouvernance ne se résume pas à gérer les situations faciles à régler. Elle consiste aussi à bouleverser les habitudes au profit de la collectivité quitte à « remercier » ceux qui sont rébarbatifs. Si on ne veut pas que les régions « ressources » soient des boulets, ou bien on les ferme, ou bien on partage.
La répartition de l’administration publique sur le territoire est un phénomène indissociable d’un rapport de force. Jacques Pelletier montre une forte distorsion interrégionale, Marc-Urbain Proulx en montre la raison: la force de gravité, centrée sur Québec. Quoi faire? Toujours les mêmes mesures: chercher et diffuser la vérité (pcq celle-ci révolutionnaire) et combattre.
Justement, une élection se pointe en 2022. Élire des combattants, habités par une vision audacieuse. Rien à perdre par rapport à la situation présente n’est-ce pas?