Le nom approprié pour désigner la ville
Oubliez que le nom Chicoutimi est associé actuellement à l’agglomération située au centre de la nouvelle ville issue des fusions de 2002. Oubliez également que cette agglomération est la plus populeuse et qu’elle est celle où l’on retrouve le plus d’emplois et qui compte le plus d’institutions, entre autres, commerciales, religieuses et gouvernementales. Ces attributs, constatés en ce début du 21e siècle, ne sont que le résultat d’un long parcours qui a débuté, en cette terre, avant même l’arrivée des premiers Européens en 1647.
Reportez-vous à une époque où l’histoire ne s’écrivait pas. Reportez-vous à l’époque où les Amérindiens étaient les seuls occupants d’un territoire âpre mais combien giboyeux. Cette période, on la connaît grâce aux archéologues qui, depuis tout au plus 40 ans, ont levé une partie du voile sur l’occupation de ce territoire et qui nous apprennent que depuis au moins 3 500 ans, la région a été occupée par des peuples amérindiens qui se sont succédés et qui y ont aussi cohabité. L’histoire nous apprendra, en 1661, que les Innus la désignaient du nom de « Chicoutimi », pour se rendre « jusqu’où l’eau est peu profonde », ce territoire qui fait la jonction entre la mer et l’intérieur des terres et qui constituait un site de rassemblement des Amérindiens autant pour la chasse que pour les échanges culturels et commerciaux et, qu’à ce titre, c’était le lieu d’occupation le plus important sur le Saguenay.
Qu’est-ce qui a incité les Amérindiens à privilégier ce site ? Comme pour plusieurs autres sites notoires, tels Québec, Trois-Rivières, Tadoussac, c’est sa configuration géographique qui a rendu ce site stratégique pour les Amérindiens et ceux qui leur ont succédé. Il faut alors se tourner vers la paléo-géologie pour constater que ce sont les forces de la nature qui ont rendu ce site incontournable, comme étant la seule porte d’entrée pour atteindre l’intérieur des terres si on empruntait le fjord du Saguenay, les cours d’eau ayant été, pendant des millénaires, les seules routes commerciales.
Il y a un nombre impressionnant de livres, de documents et de cartes géographiques qui témoignent de la valeur respective des noms Saguenay et Chicoutimi. Dans le cas de « Saguenay », je devrais plutôt dire qui témoignent de sa non-valeur, si on excepte ce nom appliqué à la rivière, à titre de siège de notre mémoire collective et d’identifiant géographique. Il n’y a probablement aucun autre nom que Chicoutimi, au Québec, qui mérite autant, dans sa région, d’en être le porte-étendard.
Tous ces documents prouvent, sans l’ombre d’un doute, que de renier l’importance du nom Chicoutimi est une aberration historique et qu’il n’y a que deux raisons pour ne pas l’admettre : l’animosité envers la population de l’ancienne ville de Chicoutimi ou une méconnaissance des faits historiques. Souhaitons que la deuxième raison soit la bonne, et, par le fait même, qu’un bon processus de consultation où l’information circulerait publiquement pour servir en même temps de formation, saurait rallier la plupart des citoyens.
Oublions nos différents, reconnaissons le nom « Chicoutimi » comme étant le seul et unique nom utilisé autant par les Européens que les Amérindiens pour nous situer géographiquement et comme lieu d’une importance capitale lorsqu’il s’agit de raconter l’histoire du Saguenay depuis des temps immémoriaux. Voici par quoi, en 1971, l’abbé Lorenzo Angers terminait son excellent livre sur le poste de traite de Chicoutimi : « En 1676, Chicoutimi valait bien en importance les Trois-Rivières à leurs débuts, Détroit ou un autre poste du genre. Chicoutimi, terminus de la navigation, centre commercial important, foyer missionnaire, sous la conduite d’hommes avisés qui se sont succédés ici sans interruption, remonte plus loin dans le passé qu’on veut bien nous le laisser croire ». Par ce geste de nommer la ville « Chicoutimi », ce n’est pas l’ancienne ville de Chicoutimi qu’on veut sauvegarder, c’est le NOM.
Au plus vite une commission indépendante pour réfléchir à nouveau sur le nom de cette ville.