Un nom approprié pour désigner la ville, vraiment? 

La seule et unique source pour entendre parler du Royaume du Saguenay se trouve dans le récit de Jacques Cartier lors de son second voyage au Canada en 1535-36. C’est en décembre que Cartier entend parler par Donnacona, chef du village de Stadaconé, du Royaume du Saguenay[1] :

  «…avons entendu par le seigneur Donnacona et autres, que la rivière devant dicte est nommée la rivière du Saguenay et va jusques au dit [royaume du][2]  Saguenay, … et que passées huit ou neuf journées, elle n’est plus parfonde [profonde][3] que par basteaulx [canots], mais que le droit et bon chemin du dit [royaume du] Saguenay est par le fleuve jusqu’à Hochelaga [Montréal], à une rivière [Outaouais] qui descend du dit [royaume] du Saguenay, …et nous ont fait entendre que les gens sont vêtus et habillés comme nous, et de draps, et qu’il y a force villes et peuples, et bonnes gens et qu’ils ont grande quantité d’or et cuivre rouge ». 

Voici ce que pensent quelques historiens renommés de ce fameux « Royaume du Saguenay » :

Victor Tremblay[4] : « Le légendaire royaume du Saguenay avec ses riches cités et ses gens vêtus de drap de laine n’a jamais existé »,

 Bernard Allaire[5] : « La Rocque [Roberval] et sa garnison installèrent un campement … près d’Hochelaga [Montréal]… Une partie des troupes continuèrent … en route vers le mythique pays du Saguenay… Le 14e jour de juin [1543] les barques… revinrent au campement » après la noyade de huit soldats et de deux nobles et sans avoir atteint le royaume du Saguenay. 

Bruce G.  Trigger[6] : « Quoiqu’il en soit, Roberval dut abandonner l’espoir de pénétrer plus avant à l’intérieur du continent et dut se résigner à ne voir que pure invention dans la légende d’un royaume du Saguenay rapportée par Donnacona ». 

Ces quelques témoignages ainsi que l’historiographie et la cartographie nous apprennent que ce légendaire royaume, s’il avait existé, se serait situé ailleurs que dans la région du Saguenay et qu’il n’a existé aucun peuple autochtone qui portait le nom de « Saguenéens ». 

Qu’en est-il après l’arrivée de Samuel de Champlain? Dans ses récits, jamais Champlain ne fait mention d’un quelconque royaume du Saguenay. Ce nom évoquant un royaume n’apparaît pas non plus sur ses cartes géographiques. Nulle trace du royaume du Saguenay dans les récits du jésuite Pierre-Michel Laure qui a séjourné plus de 10 ans à Chicoutimi (1725-1737) et qui plutôt utilise le nom « Chicoutimiens » pour désigner les habitants du Haut-Saguenay. 

En 1880, Arthur Buies[7] produit la première édition de son livre « Le Saguenay et la vallée du lac Saint-Jean ». Ce livre est une description du développement de l’agriculture et, conséquemment, des villes et villages tout le long de ce qu’il désigne de « Bassin du Saguenay et du lac Saint-Jean ». Il mentionne que «de désigner ce territoire du nom de région du Saguenay est tout récent ». Arthur Buies ne mentionne nulle part le Royaume du Saguenay. Il déclare plutôt que la région, « on la désignait sous le nom général de Domaine du Roi, faisant partie des fermes réunies de France et elle était concédée à une compagnie appelée la Compagnie des Postes du Roi ». 

S’il avait été un historien plus qu’un journaliste, Buies aurait pu préciser, à l’instar de Gaston Gagnon[8] que « lors du Régime français, le terme Sagné s’applique … seulement à la rivière, tandis que la région est appelée la Traite de Tadoussac en 1652, la Ferme de Tadoussac en 1664 et le Domaine du Roi vers 1720 ». Lors de la conquête du Canada par l’Angleterre, en 1759-1760, on lui donna le nom de Poste du Roi. En 1870, sur une carte officielle du Québec (carte ci-dessous)[9], le nom qui y est inscrit pour désigner le Haut-Saguenay est  « Chicoutimi ». Il est donc évident que le territoire de cette nouvelle ville, qui est une partie seulement de la sous-région du Haut-Saguenay, n’a jamais été associée au nom Saguenay.

Entendons-nous bien : le nom « Saguenay », pour désigner à la fois la rivière et la région, n’est aucunement remis en cause. Quoique que sur une carte de 1732, conçue lors de son séjour de 10 ans à Chicoutimi, le père jésuite Pierre-Michel Laure désigne la rivière du nom de «Pitchitaoüichetz », le nom reconnu sur les cartes depuis 1541 est Saguenay[10]. Il est aussi tout à fait approprié de désigner la région du nom de Saguenay puisqu’elle correspond exactement au bassin hydrographique de cette rivière. Soyons donc fiers d’être Saguenéens, c’est-à-dire habitants de cette belle région.

Pour le reste, laissons à la « Fabuleuse histoire d’un Royaume » le soin de perpétuer cette légende et

 trouvons un autre nom pour désigner cette ville issue des fusions de 2002.

À quand une commission

sur le nom?

 

Jacques Pelletier

[1] Bref récit de la navigation faite en 1535 et 1536 par le capitaine Jacques Cartier aux îles de Canada, Hochelaga, Saguenay et autres, Librairie Tross, 1863, page 34

[2] Le chroniqueur précise entre crochets [ ] la pensée de l’auteur.

[3] Se rappeler que Chicoutimi signifie ‘’ jusqu’où la rivière est profonde’’.

[4] Victor Tremblay, historien, Histoire du Saguenay, SHS, 1938, page 41 et 4e édition, SHS, 1984, page 53

[5] Bernard Allaire, historien, La rumeur Dorée, Roberval et l’Amérique, Les Éditions La Presse, 2013, p. 125

[6] Bruce G. Trigger, historien, Les Indiens, la fourrure et les Blancs, Boréal, 1992, page 186

[7] Arthur Buies, Le Saguenay et la vallée du lac Saint-Jean, A. Côté et Cie, 1880, page 1

[8] Gagnon Gagnon, historien, Au Royaume du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, Éditions GID

[9] Map of Quebec in counties, 1870, Mitchell, S. Augustus (Samuel Augustus), carte couleurs 23 x 30 cm, 1:2 500 000, Québec (Province), Bibliothèque et Archives nationales du Québec

[10] Real acamedia de la historia, Madrid, Departemento de Cartographia, appelée la « Carte espagnole »

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