Cette ville est issue du raz-de-marée des fusions municipales suite au dépôt, le 31 mars 1999, du rapport de la Commission nationale sur les finances et la fiscalité locales, rapport qu’on désigne plus communément du nom de son président, Denis Bédard.

Le rapport Bédard nous rappelle que les municipalités avaient notamment été appelées, depuis 1990, à assumer une part de plus en plus grande de responsabilités en matière de financement des activités locales. En formant cette commission, « non seulement le gouvernement avait-il comme objectif de faire contribuer tous les secteurs à la réduction du déficit budgétaire, mais il souhaitait aussi procéder à des rationalisations qui amèneraient, à plus long terme, une plus grande efficacité de gestion et un meilleur équilibre entre la demande et l’offre des services publics.».

Parmi les 108 recommandations formulées dans son rapport de 453 pages figure l’article 73 dont voici un extrait :

« Que le gouvernement fasse obligation aux municipalités des quatre territoires constituant les agglomérations de Trois-Rivières, de Sherbrooke, de Chicoutimi-Jonquière et de l’Outaouais, de choisir …entre les deux options suivantes :

A – le maintien du découpage actuel des municipalités locales, assorti d’un transfert majeur de responsabilités à l’instance supramunicipale dont le territoire inclut l’agglomération ; ou

B – le regroupement en une seule municipalité des municipalités locales de l’agglomération ou du centre urbanisé de celle-ci, assorti d’un transfert de responsabilités moindre à l’instance supramunicipale ».

Au Saguenay, avec la bénédiction de la ministre Harel en tête, c’est l’option B qui a été choisie, sans transfert toutefois de responsabilité à aucune instance supramunicipale, . Cette carte illustre comment le projet de fusion s’est concrétisé dans le Haut-Saguenay.

Les zones urbaines représentent 13% du territoire de la Ville de Saguenay

Au Saguenay, on voit grand! Au lieu de s’en tenir à Chicoutimi-Jonquière, on décide de former une municipalité de moins de 152 000 habitants, répartie sur plus de 1 160 km2, en fusionnant trois agglomérations urbaines et quatre municipalités rurales, alors que le territoire de chacune des autres villes de plus de 100 000 habitants au Québec tourne autour de 400 km2. N’est-ce pas une belle manière d’encourager l’étalement urbain?

Au Saguenay, on évite la discrimination! Alors que toutes les autres villes issues des fusions portent aujourd’hui le nom d’une des villes fusionnées, ici au Saguenay, on a décidé que si toutes les autres villes perdaient leur nom, Chicoutimi, le nom que retenait la commission de Toponymie du Québec, devait aussi perdre le sien. L’opinion publique, sous le regard silencieux des élus municipaux, vote pour le nom Saguenay, un nom évocateur d’un royaume utopique que les autochtones situaient au nord du Lac Supérieur ou, au mieux, en Abitibi.

Au Saguenay, malgré qu’on soit fusionné, on aime la continuité! On dit s’affairer à réviser le schéma d’aménagement urbain pour le rendre conforme aux besoins d’un territoire nouvellement fusionné, mais après 20 ans, on constate qu’il est encore une copie conforme des schémas d’aménagement qui existaient avant la fusion.

Pour concevoir un plan d’aménagement approprié, il faut, entre autres, avoir une vision claire du futur de cette ville, convenir de la vocation de chaque secteur et identifier des créneaux d’excellence pour le développement économique. Or cette municipalité n’a rien fait qui vaille en ce domaine. Les anciennes municipalités veulent encore se concurrencer. À preuve : quatre bureaux d’information touristique, six centres-villes, multiplication des zones commerciales et industrielles sans oublier les bibliothèques.

En matière de développement économique le gouvernement du Québec lui a imposé des créneaux d’excellence qui n’ont aucun avenir à moins que le gouvernement ne mette ses culottes. À titre d’exemple, le créneau d’excellence dans l’aluminium : une compagnie d’aluminium primaire installée depuis 1936 au Saguenay et qui porte actuellement le nom de Rio Tinto, n’entreprend pratiquement que des projets subventionnés pour le développement de nouvelles technologies qui seront exportées et qui ne créeront aucune richesse en cette ville. C’est à prendre ou à laisser. Il y a d’autres endroits où ils sont prêts à nous accueillir rétorque en substance Rio Tinto. Même si elle est propriétaire d’immenses installations hydroélectriques (faveur obtenue lors de la nationalisation de l’électricité) pour sa production locale, cette compagnie ne veut plus que le nombre d’emplois à conserver ou à créer soit encore un critère pour négocier le montant des redevances avec le gouvernement provincial. Quant à la production secondaire et tertiaire dans le secteur aluminium, cette compagnie ne veut rien entendre et il est évident que le gouvernement s’en tient au minimum d’où une croissance économique famélique dans ce secteur.

À ce constat on peut ajouter la gestion déplorable des finances publiques des 15 premières années où la priorité est allée, à des fins purement électoralistes, au maintien minimum des taxes, à l’endettement pour un déficit actuariel des fonds de pension de 127 M$ en 2010 et à des investissements déraisonnables dans des projets d’infrastructures la plupart régionale ou nationale.   

On se retrouve donc, après 20 ans de fusion, avec une ville moribonde qui a perdu plus de 5 000 habitants. Hormis Trois-Rivières, la Ville de Saguenay possède le taux global de taxation le plus élevé et sa richesse foncière uniformisée est la plus basse parmi les grandes villes du Québec.

Y a-t-il moyen de revenir en arrière en se défusionnant complètement? J’en doute. Y a-t-il moyen d’améliorer la situation? Que faire de cette ville atypique et dysfonctionnelle sans le bon vouloir du gouvernement provincial. Les pistes de solutions :

  • Tout d’abord le retrait de La Baie, des quatre anciens villages et d‘une grande partie des terres agricoles des anciennes municipalités urbaines, 
  • Donner à cette ville un nom significatif, distinctif et porteur de sa mémoire collective (faute de s’entendre sur le nom Chicoutimi, pourquoi pas Chicoutimi-Jonquière),
  • Se dissocier des projets de nature régionale ou nationale car il n’est pas nécessaire de les avoir dans sa cour pour en profiter (Aéroport de Bagotville, Quai d’escale de Bagotville, Port de Grande-Anse, etc.),
  • Le soutien inconditionnel des gouvernements provincial et fédéral en matière de développement de la niche aluminium qui est un dossier beaucoup trop lourd pour une seule ville,
  • Définir la vocation de chacun des secteurs (Chicoutimi, Jonquière) dans les domaines du résidentiel, du commercial, des services, de l’industriel et du tourisme.
  • Identifier les créneaux d’excellence pour le développement économique et s’assurer d’avoir un véritable organisme de développement économique capable d’assumer son rôle tant au niveau commercial et industriel qu’au niveau touristique.

Voici le périmètre que devrait avoir cette ville, soit le regroupement proposé initialement dans le rapport Bédard. Là on pourrait respirer.

Ville de Saguenay, périmètre suggéré

Trouverons-nous des élus provinciaux ou municipaux qui voudront bien suivre le conseil de l’écrivain britannique Herbert Georges Wells : « Ayez le courage de regarder la réalité en face. Alors seulement on pourra faire quelque chose ».

 

4 réponses pour “Un exemple d’une fusion ratée : Ville de Saguenay”

  • Plutôt d’accord. Mais comment le faire comprendre aux autorités en place qui souffrent de surdité et d’un manque de vision flagrant.

  • Si chaque conseiller était en place pour vraiment répondre aux aspirations de la population, si chaque conseiller avait le courage politique de changer les choses, si chaque conseiller occupait leur poste en fonction des services à rendre à leurs électeurs et non à leurs propres fins, tout serait possible et réalisable d’amener les correctifs nécessaires au bon fonctionnement de la ville. Je trouve que vous avez une très bonne lecture du problème!
    Jean-Charles Dubé

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