On m’a transmis dernièrement un article paru dans le Journal des Affaires[1] qui nous rend encore plus perplexes à propos des intentions des producteurs d’aluminium d’investir au Québec.

La dernière trouvaille est la suivante : « Nous n’avons pas de prix du carbone à long terme. Dans ce contexte, il est difficile de prendre une décision d’investissement », dixit Jean Simard[2], président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC).

Cette déclaration semble cacher, pour l’AAC, un « problème » encore plus grave si on tient compte des propos rapportés par le journaliste Normand : Aux yeux de Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal, la plus grosse incertitude pour les alumineries du Québec n’est peut-être pas le prix du carbone, mais la quantité d’allocations gratuites qu’elles vont recevoir après 2023. « Le gouvernement provincial n’a pas encore divulgué les règles finales d’allocation gratuites. Pour l’instant, les alumineries reçoivent des allocations gratuites généreuses. Ça ne va peut-être pas durer ».

Mais qu’est-ce donc que « cette quantité d’allocations gratuites »?

Écoutons le ministère de l’environnement[3] : « En 2013, le Québec a mis sur pied son marché du carbone, qui est lié à celui de la Californie depuis janvier 2014. Son objectif premier est d’inciter les entreprises et les citoyens à innover et à modifier leurs comportements afin de réduire les émissions de GES. Il génère aussi d’importants revenus, qui sont versés au Fonds d’électrification et de changements climatiques. Ces revenus sont réinvestis en totalité dans des mesures qui permettent au Québec de réduire ses émissions de GES, etc.»

 Un répit pour 79 entreprises ciblées

 « Les émetteurs industriels qui font face à la concurrence nationale ou internationale reçoivent gratuitement une grande partie des unités d’émission dont ils ont besoin afin d’éviter ce qu’on appelle des « fuites du carbone », soit la délocalisation d’entreprises vers des territoires sans tarification carbone. Toutefois, pour la période allant de 2015 à 2023, les facteurs d’allocations gratuites déterminant le nombre d’unités allouées gratuitement à ces émetteurs diminueront généralement d’environ 1 à 2 % par année, notamment pour les émissions de combustion, afin d’inciter les entreprises à faire des réductions d’émissions de GES supplémentaires ». Le gouvernement publie[4] les quantités d’unités d’émissions gratuites globales (13 803 894 pour 6 mois en 2021) et la liste des 79 entreprises qui peuvent en profiter mais on ne connaît pas la valeur pour chacune d’elles.

Donc, l’AAC a peur de perdre ses allocations gratuites. Or l’AAC est toujours sortie gagnante de ses négociations avec le gouvernement du Québec. Le gouvernement provincial mange littéralement dans la main de cette industrie. Cette inconnue qu’est l’allocation gratuite n’est donc, encore une fois, qu’un faux fuyant. Le gouvernement du Québec[5] saura certainement concilier les intérêts de nos multinationales et « les changements requis pour atteindre les cibles et objectifs du Québec » d’ici 2050 que nous démontrent le graphique ci-dessous.

Graphique illustrant l'évolution des émission de CO2 par secteur d'activités de 2016 à 2050

Considérant que cette excuse ne suffit pas, Alcoa en remet en déclarant[6] que « tout projet d’Alcoa de construire une nouvelle capacité de fusion d’aluminium dans ses opérations mondiales dépendra du développement réussi de la technologie d’anode inerte Elysis (développée par une coentreprise de Rio Tinto et Alcoa, soutenue par les gouvernements du Québec, du Canada et Apple), qui devrait atteindre un déploiement commercial dès 2024». On réalise que, comme la  COVID,  Elysis, le  « Messie », a le dos large. Pourtant on n’a jamais vu une entreprise attendre le « Messie » lorsqu’il y a une opportunité d’affaires. Il se construit plusieurs usines dans le monde et cela est nettement justifié par les prévisions de croissance de la demande mondiale[7] de presque 40% d’ici 2030. D’où un besoin additionnel de 33.3 Mt, soit l’équivalent de 33 nouvelles usines de 1 MT chacune. À quand notre part?

Nous sommes dans un pays sécuritaire, avec des lois en évolution mais qui, jusqu’à maintenant, ont rarement freiné les entreprises existantes à se développer.

Pourquoi tant de procrastination de la part des membres de l’AAC? On sait qu’ALCOA et Rio Tinto veulent vendre leur nouvelle technologie aux plus offrants. Se peut-il qu’elles n’aient pas l’intention de construire ici une usine de fabrication de composants ou une aluminerie basée sur cette technologie? Devrons-nous inviter d’autres fabricants d’aluminium à leur succéder? Actuellement, à part ces partenaires personne n’attend le « Messie ».

[1] Prix du carbone: le manque de prévisibilité nuit aux alumineries | LesAffaires.com , 14 avril 2022, François Normand.

[2] Président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), qui représente Rio Tinto, Alcoa et Aluminerie Alouette (qui regroupe cinq partenaires, dont Rio Tinto, Norsk Hydro et Investissement Québec).

[3] La lutte contre les changements climatiques : Gagnant pour le Québec. Gagnant pour la planète. (gouv.qc.ca)

[4] Quantité d’unités d’émission versées en allocation gratuite et liste des émetteurs qui en ont bénéficié (gouv.qc.ca)

[5] Rapport_Final_Trajectoires_QC_2021.pdf (dunsky.com)

[6] Prix du carbone: le manque de prévisibilité nuit aux alumineries | LesAffaires.com

[7] Report Reveals Global Aluminium Demand to Reach New Highs After Covid – International Aluminium Institute (international-aluminium.org)

 

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