En ce vendredi, 11 août, il pleut à boire debout mais cela n’empêche pas les gens de se diriger vers le Théâtre du Palais municipal de La Baie pour assister à la énième représentation de la Fabuleuse. Les places de stationnement sont à pleine capacité et il nous faut déborder dans les rues environnantes pour se garer. Une foule nombreuse est donc au rendez-vous.

Un spectacle très bien rodé. Des jeux de lumières qui nous éblouissent. Des effets sonores tonitruants à impressionner les plus jeunes et les moins jeunes. Des animaux et particulièrement des chevaux très bien dressés pour ne pas paniquer dans cette atmosphère survoltée. Des costumes à la pelle. Des figurants, des danseurs et des comédiens qui prennent vraiment plaisir à nous charmer. En somme, un superbe spectacle à ne pas manquer.

Malgré qu’on nous présente 16 tableaux soulignant les événements marquants survenus dans notre région du Saguenay, on a l’impression que, dans les premiers tableaux, il manque un je ne sais quoi et certains faits rapportés sonnent bizarres.

Parlons, par exemple, de la déclaration du comédien jouant le rôle de Jacques Cartier. « Je te baptise Saguenay ». La seule et unique source pour entendre parler du Royaume du Saguenay se trouve dans le récit de Jacques Cartier lors de son second voyage au Canada en 1535-36. C’est en décembre que Cartier entend parler par Donnacona, chef du village de Stadaconé, du Royaume du Saguenay :

  «…avons entendu par le seigneur Donnacona et autres, que la rivière devant dicte est nommée la rivière du Saguenay et va jusques au dit [royaume du] Saguenay, … et que passées huit ou neuf journées, elle n’est plus parfonde [profonde] que par basteaulx [canots], mais que le droit et bon chemin du dit [royaume du] Saguenay est par le fleuve jusqu’à Hochelaga [Montréal], à une rivière [Outaouais] qui descend du dit [royaume] du Saguenay, …et nous ont fait entendre que les gens sont vêtus et habillés comme nous, et de draps, et qu’il y a force villes et peuples, et bonnes gens et qu’ils ont grande quantité d’or et cuivre rouge ».

On voit bien que Jacques cartier n’a pas baptisé cette rivière. De plus, selon Donnacona, et c’est ce que confirment les cartes géographiques de l’époque, le dit « Royaume du Saguenay » se trouvait donc au nord du Lac Supérieur ou tout au plus en Abitibi. Déjà, en 1939, Mgr Victor Tremblay, professeur d’histoire et historien, confirmait que ce royaume est une légende, une utopie. Pourquoi alors ne pas en aviser les spectateurs?

Par la suite on nous présente Champlain à la recherche du Royaume soixante ans après la venue de Cartier. Jamais le mot Royaume n’est mentionné dans ses récits de 1603 et 1608. La France est passée à autre chose, soit la colonisation. Il est vrai que Champlain nous parle de sa petite excursion sur le Saguenay sans donner beaucoup de détails, sans baptiser aucune des anses ou rivières qu’il aurait pu découvrir au cours de son périple de quelques kilomètres sur le Saguenay.   Le récit qu’il nous en fait est plutôt une description assez précise des propos des autochtones qui l’accompagnaient et qui ne voulaient pas aller trop loin sur la rivière pour des raisons qui leur sont propres. En somme le sous-tableau de Champlain et d’ailleurs celui de Louis XIV devraient être biffés du spectacle.

Passons maintenant à un événement qui a perduré cent quatre-vingts ans et qui n’est mentionné dans aucun tableau : la traite des fourrures, l’évangélisation des autochtones et la naissance d’une nouvelle ethnie, les métis. En effet de 1676 à 1856 un poste de traite et une mission catholique étaient installés à Chicoutimi. Ce poste de traite fut, un temps, un des plus importants en Nouvelle-France. Il était alimenté en fourrures par des coureurs des bois et par les autochtones dont certains étaient installés à proximité du poste. Une chapelle des plus respectables pour l’époque offrait tous les services religieux et d’éducation à cette communauté. On ne peut passer sous silence la contribution du père jésuite Pierre-Michel Laure qui y vécut de 1725 à 1737 et qui est l’auteur « d’un catéchisme, d’une grammaire et d’un dictionnaire en langue montagnaise, de six cartes du Domaine du Roy et d’une autre du cours du Pitchitaouichetz (Saguenay) ». Les relations amicales entre les Européens et les Montagnais se sont traduites par des unions qui sont à l’origine de plusieurs familles métisses ici dans la région. C’est lors de cette occupation qu’on a tout appris sur la région et son potentiel de développement. Voilà un tableau qui doit avoir sa place dans ce spectacle.

Il est temps qu’on révise le contenu, la priorité au cours des années ayant plutôt été d’améliorer le contenant. J’estime que la légende du Royaume peut encore être présente mais que la vraie histoire peut être toute aussi intéressante et plus instructive pour les spectateurs. La région a vécu l’ère de la traite des fourrures, celle des moulins à scie, de l’hydroélectricité, des moulins à papier, et enfin celle des alumineries. À quand la prochaine ère? Il n’y a pas eu que des catastrophes dans la région. Pourtant c’est ce qui ressort le plus dans ce spectacle. Les bonnes nouvelles n’alimentent pas le spectacle. Dommage!

Encore bravo pour toute cette équipe.

7 réponses pour “La « Fabuleuse histoire d’un royaume », une belle histoire à améliorer”

  • Belle analyse comme toujours. Moi aussi j’ai trouvé que l’histoire de la région avait été un peu escamotée. De plus, on ne mentionne pas les bâtisseur.es du XX siècle qui ont modernisé nos grandes villes. Dommage.

  • L’ère nouvelle, nous la cherchons depuis plus de 50 ans au cours de laquelle l’ère des alumineries n’est plus porteuse de progrès économique, culturel et social. Il serait temps de faire le bilan régional de cette recherche collective.

  • Merci de ta contribution, Jacques, à l’amélioration de la manière de . Espérons que les responsables du spectacle en tiendront compte.

  • Pourvu que ces remarques parviennent aux oreilles du réalisateur Jimmy Doucet.
    Ce spectacle, je l’ai vu 2 fois les premières années. Je me souviens encore du coup de tonnerre à faire trembler
    l’amphithéâtre. Un spectacle qui impressionne par ses effets visuels et sonores.
    Faut-il y chercher une retrospective fidèle des événements les plus marquants de notre histoire, je ne crois pas.
    Autrement, quelle place aurait-t-il fallu donner à l’épopée de la Pulperie de Chicoutimi, un phénomène d’industrialisation à nul autre comparable au Québec, compte tenu de l’époque? “En 1919, le plus important producteur de pâte mécanique au monde”, selon Gilles Gagnon, historien.

    • Bien d’accord avec vous. On ne peut pas couvrir tous les événements importants. Mais il y a une limite lorsque qu’on passe sous silence le poste de traite et la mission catholique. Une réflexion très sérieuse s’impose pour l’avenir. Qu’apprend le touriste? Des faits historiques non valides ou tronqués (Jacques Cartier et son Royaume, Champlain revenant rechercher le Royaume, La guerre France-Espagne où on ne comprend pas trop son impact sur la région), la légende de Jos Maquillon, certaines coutumes des habitants et surtout des catastrophes (Le grand feu dont on ne perçoit pas vraiment son étendue et ses dommages, les revendications des ouvriers à Val Jalbert et la grippe espagnole et le déluge de 1996). En somme le touriste ne reçoit que très peu d’information sur la formation géologique de la région (Le Graben, la déglaciation, la formation du bassin hydrographique du Saguenay qui nous distingue du reste de la province) et le développement démographique (expansion de la colonisation, développement hydroélectrique, implantation des scieries, des moulins à papier et des alumineries. Qu’est-ce qu’il apprécie? UN GROS SHOW!

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