Pendant que vous, propriétaire d’une résidence, d’un commerce ou d’une petite ou moyenne entreprise, voyez grimper votre compte de taxes au gré des dépôts annuels de budget, ceux des usines Rio Tinto de Laterrière et de La Baie diminuent de centaines de milliers de dollars par année. Essayons d’y voir plus clair.

Un système d’évaluation différent?

Vous avez sûrement remarqué que généralement l’évaluation municipale de votre résidence augmente à chaque nouveau rôle d’évaluation qui se produit tous les trois ans et ce, même si vous n’avez effectué aucune rénovation. Pourquoi ce phénomène? Tout simplement parce que, pour les résidences, on utilise la méthode de comparaison qui consiste à établir la valeur de votre immeuble en se basant sur l’observation des conditions de transactions récentes de vente pour des immeubles similaires et en procédant aux ajustements nécessaires. L’inflation persistante depuis des années pousse les prix vers le haut. Si, de surcroît, le marché vit une certaine rareté, la hausse devient encore plus importante. Il faut croire que le marché, au Saguenay, était pourri en 2021 puisque, comparativement à 2018, plus de 80% des résidences[1] ont bénéficié d’une diminution moyenne d’environ 4% de leur évaluation, une première depuis bien des années. Mais ne criez pas victoire car la Ville doit augmenter chaque année son budget pour couvrir ses charges et pour y arriver, elle augmente d’autant plus le taux de taxation, pour compenser les baisses d’évaluation. En 2021, le taux de taxation pour le résidentiel est de 1,17 $/100 $ d’évaluation, alors qu’il était de 1,04 $ en 2018. Donc, pour une résidence de 240 000 $ en 2018, valant 230 400 $ en 2021, la facture pour l’impôt foncier seulement passe donc de 2 496 $ à 2 696 $, soit une augmentation de 8% en trois ans.

Qu’en est-il maintenant pour les industries et les commerces ?

Dans le cas des commerces[2], ceux situés sur la rue Racine, en haut de la côte, ont vu leur évaluation demeurer inchangée et les entreprises classées commerciales dans le parc industriel Henri Girard ont connu une hausse de 1,4 %. En 2021, le taux de taxation pour le commercial est de 3,22 $/100 $ d’évaluation alors qu’il était de 3,12 $ en 2018, soit une augmentation de 3,5%. Pour un commerce dans le parc industriel valant 800 000 $ en 2018 la facture passe donc de 24 960 $ à 26 200 $ soit une augmentation de 5%.

Dans le cas des industries réparties sur tout le territoire, on observe une hausse de leur évaluation foncière de 2,8%, sauf en ce qui concerne les installations industrielles de Rio Tinto à La Baie et à Laterrière qui ont connu d’importantes baisses, respectivement de 12,6% et 5,5 %. De plus, pour ces deux sites, on note des baisses similaires en 2009 et 2012. Pour toutes les industries le taux de taxation, en 2021, est de 4,0405 $/100 $ d’évaluation et de 4,0373 $ en 2018, soit une hausse de moins de ,01%, et cette situation prévaut aussi pour 2019 et 2020. Donc, pour un bâtiment industriel dont l’évaluation est de 2 150 000 $ en 2018 et 2 200 000 $ en 2021, la facture augmente de 2,8%, soit de 86 860 $ à 88 880 $ en trois ans.

 Mais qu’en est-il pour l’usine[3] La Baie de Rio Tinto et celle de Laterrière?

Rio Tinto

2018- taux de 4,0373 $

2021- taux de 4,0405 $

Écart

 

Valeur

Taxes

Valeur

Taxes

 

La Baie

176 136 500 $

 

7 111 159 $

153 867 800 $

6 217 928 $

–  895 000 $

Laterrière

146 224 700 $

5 900 898 $

138 191 100 $

5 584 993 $

–   315 905 $

 

On note donc des baisses phénoménales de la valeur de ces usines de 23 M$ pour La Baie et de 8 M$ pour Laterrière. On constate une économie, pour Rio Tinto, de plus de 1,200, 000 $ par année depuis 3 ans, puisque le taux industriel est demeuré pratiquement le même depuis 2018. Qui, croyez-vous, paient pour ce manque à gagner ? Vous!

Comment se fait-il que des industries qui augmentent leur capacité annuelle de production peuvent avoir des usines qui se dévaluent de la sorte ? Croyez-le ou non, nous devons cela à notre gouvernement provincial qui, sous l’influence de lobbying des grosses entreprises telles Rio Tinto, ont obtenu un mode de calcul pour l’évaluation de leurs bâtiments de production différent de celui utilisé pour toutes les autres catégories, incluant les petites et moyennes entreprises. Avec un tel système, leurs évaluations tomberont éventuellement à zéro.

Madame Laforest, venez nous expliquer comment ce système fonctionne, comment une grosse entreprise peut avoir des bâtiments qui se déprécient à un rythme différent de celui d’autres entreprises manufacturières qui, elles aussi, ont des particularités, des agencements et des services qui ne conviendront pas tout à fait à tout autre industriel désireux d’acquérir leur bâtiment.

Madame Néron, venez nous dire quelle intervention vous avez faite auprès de Mme Laforest pour tenter de corriger cette situation.

N’y a-t-il pas d’autres formules (pensons aux droits sur les barrages) plus appropriées pour s’assurer s’un système équitable?

Une entente hors cour?

Il semblerait qu’il y a aussi une autre raison pour laquelle Rio Tinto bénéficie d’une diminution de l’évaluation foncière de ses usines. L’ancienne administration de la Ville de Saguenay aurait signé une entente à l’amiable avec Rio Tinto afin de régler un litige concernant des taxes payées en trop. Les conseillers municipaux actuels ne semblent pas avoir pu prendre connaissance de cette entente bien que certains sachent qu’elle existe.

Madame Néron, venez nous confirmer si cette rumeur est fondée et si oui, nous vous demandons de publier l’entente. Si l’administration précédente s’est mise les pieds dans les plats (ce ne serait pas la première fois, nous n’avons qu’à penser aux mauvais placements dans les fonds de retraite en 2008), les contribuables ont le droit de connaître la teneur et l’impact de cette entente sur les fonds publics.

Des droits de mutation non payés.

Vous connaissez les droits de mutation[4]? C’est la taxe à payer à l’administration municipale lors du transfert d’une propriété. Or, lorsqu’Alcan a été acquises par Rio Tinto, pas un sou n’a été payé pour ces droits. Selon l’article 2 de cette loi, « toute municipalité doit percevoir un droit sur le transfert de tout immeuble situé sur son territoire …selon les taux suivants:

1°  sur la tranche de la base d’imposition qui n’excède pas 52 800 $: 0,5%;

2°  sur la tranche de la base d’imposition qui excède 52 800 $ sans excéder 264 000 $: 1%;

3°  sur la tranche de la base d’imposition qui excède 264 000 $: 1,5%.

Toutefois, une municipalité peut, par règlement, fixer un taux supérieur à celui prévu au paragraphe 3° du premier alinéa pour toute tranche de la base d’imposition qui excède 500 000 $.»

Ce sont donc des millions de dollars que Rio Tinto aurait dû payer, sauf qu’il y a une clause qui lui a permis de ne pas le faire. Voici ce que révèle le Soleil[5] en 2015 :

« La « technique » en question consiste à vendre non pas l’immeuble lui-même, mais les actions d’une compagnie qui le détient…Au moins deux autres techniques, plus complexes, permettent aussi de transformer une transaction immobilière en vente d’actions. Même si l’objectif premier n’est pas nécessairement d’éviter le paiement des droits de mutation, il le permet néanmoins. Avec le même effet pour les coffres municipaux. L’UMQ n’a pas d’évaluation des pertes que cela peut représenter pour ses membres. « Nous suivons la situation de près », assure son porte-parole, Patrick Lemieux.

Madame Laforest, pouvez-vous regarder d’un peu plus près ce règlement ridicule qui permet, une fois de plus, à une entreprise de se soustraire aux obligations du commun des mortels ? Il n’y a naturellement aucune illégalité dans cette « technique ». Les grosses compagnies ne font que se payer des lobbyistes pour influencer en leur faveur les projets de lois. Quand le gouvernement du Québec sera-t-il assez courageux pour refuser de telles dispositions? Pensez-vous vraiment qu’un droit de mutation, par exemple, de 2% va mettre en péril une transaction?

Tous les citoyens doivent être égaux devant la loi. Cela inclut les citoyens corporatifs. Alors que ça ne prend qu’un seul article pour établir les taux de droit de mutation, la loi en comporte six autres pour nous en énumérer les exclusions.

Rio Tinto jouit de notre ressource naturelle, l’eau, depuis près de 100 ans. Bientôt, au lieu de faire fonctionner une usine de production d’aluminium, l’énergie produite par une bonne partie de cette eau servira à remplacer les bouilloires pour la production d’alumine sans créer un nombre significatif d’emplois. Pire, la disparition des vieilles salles de cuves de Jonquière fera disparaître des dizaines d’emplois. Rio Tinto développe une nouvelle technologie et investira ici pour une petite usine de démonstration pour vendre sa technologie… ailleurs. Nous sommes perdants à tous les points de vue et il est temps que cela cesse.

Jacques Pelletier

Jacques Pelletier – Candidat dans le district #10 – Ville de Saguenay

[1] Basé sur un échantillonnage et l’ordre de grandeur corroboré par la suite par un conseiller municipal.

[2] Ces données proviennent d’un échantillonnage où les hausses marquées n’ont pas été comptabilisées considérant qu’elles résultaient de rénovations.

[3] Le portrait est similaire pour l’usine General Cable qui appartenait antérieurement à Rio Tinto. 

[4] Chapitre D-15.1, LOI CONCERNANT LES DROITS SUR LES MUTATIONS IMMOBILIÈRES.

[5] Les villes perdent des millions en «taxe de Bienvenue» | Affaires | Le Soleil – Québec

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